"Je peins sur des toiles parce que la surface des cavernes se raréfie"

Je m’efforce, au bord du vide. Je peins en toute imbécillité, dans un non-savoir. Je dois sans cesse perdre, dépouiller, alarmer, éveiller. Construire, déconstruire.

Il y a cette poussée, sensation recherchée du lien à l’univers, matérialisation d’altérité, extrapolation, vertige.

Il me semble que la peinture doit enlever des peaux, et mène irrésistiblement à l’origine de la création elle-même.

Lieu de perte délibérée, dans ce précipité de l’espace aléatoire, d’où parfois surgit cet entre-deux, la passerelle, le lieu habité-inhabité qui relie l’homme à l’univers.

La peinture, seuil de la solitude et de la rencontre, est, plus que jamais, un acte d’amour et de résistance.

Peindre m’a engagée.

Le paysage , palimpseste, fantôme de la matière.

Puis ... Il me semble que la peinture doit enlever des peaux : c’est ainsi , qu’à mon insu, s'est peint ce qui se trouve sous la peau :  la chair, l’organique dans son caractère universel de l’être au monde. La peinture, c’est l’autre. En cherchant la chair de la peinture surgit l’animal, dans sa chair anonyme, métaphore de l’envers du peintre, son intériorité, la rencontre avec sa finitude, sa « viande ».

 Pascale Morel


                                                    Pascale Morel

                                              ses calligraphies du dedans

 

Pascale Morel s’ouvre à l’insondable. Sous les dires exténués, sa parole d’avant-message explore à vif un ciel intime. Elle creuse dans l’irrécupérable. Art d’extraction abrupte. La peinture est l’espace ouvert et distant où se joue l’autre pensée…

A chaque œuvre, Pascale Morel crève une veine d’univers, une ligne de chair, une jetée d’étrangeté. Pudique, la matière palpite, et l’énigme s’installe. Le chaos veille. Les couleurs s’approchent des signes de nuit, et s’imprègnent de leur obscure vitalité.

Dans l’étreinte du ciel et de la mort, on se retrouve envahi par ces allusives architectures nuageuses, ces cicatrices de ciel, ces aventures de lignes et de hasard. Pascale Morel arrache d’elle ce qui gravite autour du visible, et se désigne aveuglément dans les images fatiguées du monde. Dans le miroir profond de sa peinture, de ses dessins, la rationalité ne sait plus faire surface…

Art de détachement vital où l’énergie du présent, dans un immense effort d’arrachement aux obscures présences des origines, troue l’opacité primitive. Tout enfonce et tout renaît, quand l’intériorité la plus secrète s’arrime aux chairs qui vivent.

Couleurs d’espace ultime, dans l’univers sans borne du dehors et du dedans.. Regard entre deux abîmes. Comme la vie, au creux étiré du magma humain, des surgissements fragiles apparaissent et disparaissent dans les lointains. Pascale Morel ensemence le vide. Ainsi s’inventent d’inouïs dessins d’âme déliés, aigus, et sans patrie. Petites îles séparées et inhabitables. Une indicible finesse, d’une infinie et cruelle souplesse, les jette au-dehors. Etranges calligraphies d’infime beauté déliée… Crue, cruelle, et percutante. Pascale Morel traverse en fantôme toutes les formes attendues, et chaque dessin, d’une minutie qui évide, invente des hybrides, des sans-formes, des allusifs, et des inextricables.

Monstre-corps pluriel sans origine autre que celle du laisser-aller, et du laisser-créer, surgissant toujours en métamorphoses ciselées, évacuées du réel, et arrachées aux pesanteurs. Et l’impensable croît.  

 Christian Noorbergen

" I paint on canevas because case surface is becoming scarce"

I strive on the verge of the void. I paint in total imbecility, in a non-knowledge. I have to keep losing, skinning, alarming, waking. Constructing and deconstructing.

There is that urge, that much sought after feeling of the link with the Universe, the materialisation of otherness, expolation, and vertigo.

It seems to me that painting must take off several skins and irresistibly lead to the origin of creation itself.

A scene of deliberate loss, in the precipitate of the random space from which the in-between space will sometimes spring, the bridge, the inhabited and uninhabited place which links man to the Universe.

Painting, the threshold between solitude and encounter, is more than ever an act of love and of resistance.

Painting has bound me.

It’s in my skin, and that is where I’m now looking for the body of painting. »

 

This text, which was written for the edition of my first catalogue, was ending with that question about the body of painting. At the time I was producing what could be qualified as Abstract Art, on the verge of sign, in its most discrete suggestion.

 

In 2010, I completed my last abstract work, and this for different reasons : painting was showing me the way, pushing me into the void, and questioning me through my action, it was showing me its deadlocks, including its own disappearing, its pointlessness, or its absence. Or worse, its decorative potential, an aesthetic comfort, which is against my most profound conviction : that of unbalance from which one never recovers.

I don’t feel like recovering from painting. It goes without saying that I’m looking for danger.

I feared, and I still do, I would repeat myself. I want to go on wondering and doubting.

Painting brings me, through metaphores, the invisible, insurmontable to langage. Therefore it’s all about visions to which I give shape.

My inspiration is the product of a journey indissociable from the practice back and forth between sense and non-sense (I distrust what I think I can understand), between inside and outside. So, I don’t have any favourite themes, but compel myself to go into what comes up.

I have a feeling painting must remove skins. That is how, without realising it, while searching, I started painting what’s under the skin : flesh, in its universal characteristic of the living to the world.

For me, painting is the other. By looking for the flesh of painting springing from the animal, in its anonymous flesh, a metaphore of the inside of the painter, interiority, the encounter with finiteness, meat in the « deleuzian » sense (cf. his text about Francis Bacon’s painting) as the condition of any human being.

                                                                                Pascale Morel. Traduction C.Beureux